Podcast #2 : entretien avec Catherine Djerid, psychologue

Nous avons interviewé Catherine Djerid, psychologue chargée de la supervision des écoutes à France Dépression.

Question #1 : Bonjour Catherine, selon vous, pourquoi la dépression est si mal comprise par la société ? Pourquoi cette maladie semble ne pas être reconnue en tant que telle ?

La dépression est une maladie invisible. Contrairement à d'autres troubles psychiques qui se traduisent par du "en plus" (hallucinations, délire, voix), la maladie se caractérise par du "en moins" (inhibition), ce qui ne la rend pas visible pour l'entourage.

Tous les actes de la vie courante qui étaient effectués de manière quasi automatique avant l'épisode dépressif deviennent difficiles. Le malade a du mal à se lever, faire sa toilette, prendre des décisions, ce qui donne l'impression qu'il manque de volonté et qu'il lui suffirait de se forcer pour aller mieux.

Le dépressif est également très ambivalent : toutes les options se valent, son énergie vitale est faible, il ne sait plus dire ce qu'il ressent. Son discours est flou car il est lui aussi impacté par l'inhibition. Tous ces symptômes sont invisibles et difficiles à exprimer pour le malade.

A cela se rajoute l'évolution sociétale qui prône le bonheur et le bien-être à tout prix. Toutes les émotions dites négatives (tristesse, colère, culpabilité) sont bannies. De nombreux ouvrages de développement personnel inondent les rayons de nos librairies, avec une surenchère de conseils et de pistes d'évolution personnelle. Tout ceci renforce l'idée pour le grand public qu'il serait possible de venir à bout d'une dépression en suivant ces méthodes.

Ce n'est malheureusement pas si simple et la dépression est bien une maladie nécessitant une prise en charge globale et parfois longue.

Question #2 : Pourquoi les messages : « remets-toi, secoue-toi, bouge-toi » ou bien « tu te laisses aller, allez reprends toi » culpabilisent le malade et l'enfoncent encore plus dans la maladie ? Quels sont les bons messages à porter ?

Un malade dépressif rumine en boucle son mal être, son incapacité à répondre aux demandes de son entourage. L'estime de soi est très affectée. Embarrassé par une forte inhibition, marqueur essentiel de la dépression, le malade se trouve dans l'incapacité de répondre à des sollicitations telles que "secoue toi, bouge toi" et pire encore "fais le pour moi". Toutes ces demandes auxquelles il ne peut répondre, vont renforcer sa culpabilité, altérer davantage l'estime de soi, renforcer l'inhibition : le cercle vicieux est en marche !

L'entourage a cependant un rôle décisif auprès du malade s'il se positionne dans une posture de compréhension et d'empathie. Dire à un malade dépressif que l'on comprend ce qu'il ressent, ne pas s'irriter devant sa léthargie, lui dire qu'il peut faire les choses à son rythme, le rassurer, le féliciter du moindre progrès sont des attitudes aidantes qui vont l'encourager et diminuer son vécu d'isolement. Des phrases comme "tu ne peux pas comprendre" seront progressivement moins présentes dans son discours car il sera entendu.

Question #3 : Quels conseils pourriez-vous donner aux aidants pour renforcer leur posture ? Quand faut-il lâcher ? Quand faut-il ne rien lâcher ?

L'entourage doit se montrer rassurant et empathique dans la mesure du possible.

Parvenir à cette attitude nécessite d'effectuer au préalable un long travail de prise de conscience. Il y a en effet à accepter le deuil de la personne bien portante qu'ils ont connue et qui n'existe plus. Mais alors ce processus va enclencher des émotions bien légitimes comme la colère, le regret, le ressentiment. L’aidant peut alors avoir envie de dire des phrases comme "redeviens comme avant" et "fais-le au moins pour moi, si ce n'est pour toi". Or le dépressif est bien incapable de répondre à ce qui s'apparente à un chantage affectif.

L'aidant doit parvenir à lâcher l'illusion d'un retour possible à ce qui existait avant. La dépression va modifier, marquer la personnalité du malade et de l'aidant : la guérison ne sera jamais une restauration du stade relationnel antérieur mais une nouvelle façon d'être pour tous deux.

Lorsque l'aidant parvient à ce renoncement, son attitude envers le malade pourra devenir empathique et encourageante.

Il lui faudra parfois une aide psychologique individuelle ou en groupe pour y parvenir.

L'aidant doit donc à mon sens lâcher sur l'illusion d'un retour possible à la situation d'avant la maladie. Il ne doit cependant jamais lâcher sur deux points : encourager le moindre progrès, et la nécessité d'un accompagnement médical. Sur ce dernier point, il ne doit pas s'agir d'un "forçage" mais d'un travail de persuasion au long cours, il lui faudra y revenir et y revenir encore mais en douceur, dans une attitude de compréhension visant à lever les barrières défensives du malade.

Merci infiniment Catherine pour cet entretien